Chapitre 8 - La réunion de rentrée
C’est souvent en ce début de 3ème semaine de l’année que j’organise la traditionnelle réunion de rentrée. C’est un moment important de rencontre avec les parents. C’est un moment redouté par un bon nombre d’enseignants, mais ce n’est pas mon cas. C’est même au fil des années devenu un rendez-vous que j’apprécie particulièrement ! J’ai passé une bonne heure dimanche soir à mettre à jour la présentation à projeter que j’utilise depuis des années. Chaque année, je rajoute, je modifie de façon à coller au mieux à l’évolution de la Pédagogie CPR.
Alors ce lundi matin, juste avant de partir, je me remets le planning de la journée en mémoire : 8h, départ de la maison. A 8h35, arrivée à l’école, 8h45, début de la classe. 12h00, pause méridienne, 13h30, reprise de la classe, 15h30 fin de journée pour les élèves, sauf pour ceux qui viennent en APC jusqu’à 16h30. 17h15, arrivée des premiers parents pour la réunion, 18h45, fin de mon exposé et début des questions de parents, 19h30, fin des questions, 20h, retour à la maison ! Comme disait Coluche, aujourd’hui, je travaille à mi-temps, 12h par jour ! Courage, me dis-je en quittant la voiture en direction de la grille…
Le challenge d’automne
9h, voilà la classe sur le stade pour l’entrainement. Deux nouvelles épreuves cette semaine : le penta-bond et le relais (long). Le penta-bond, est une épreuve que les élèves ne connaissent pas. Elle est pourtant pratiquée dans certains clubs d’athlétisme au plus jeune âge. C’est une activité de saut en longueur qui limite les risques de blessures par rapport à la réception dans un bac à sable. Il faut une planche, un élan et faire 5 appuis dans la zone de saut. On note la distance entre la planche et le 5ème appui. Cela se rapproche un peu du triple saut, sans mettre les fesses dans le sable à la fin ! Dans la pratique, je ne mesure pas la longueur exacte, j’établis des zones, chacune valant un point de plus que la précédente. Chaque élève aura le temps de faire 4 sauts mercredi lors de la compétition « officielle ».
La seconde épreuve se court en équipe. C’est un relais sans fin (4 bases de passage de relais sur la piste et 5 coureurs par équipe). Je laisse la course durer un certain temps, voire un temps certain ! Lundi, c’est quelques minutes, mercredi c’est deux à trois fois plus long. Quand les élèves commencent à fatiguer, les stratégies peuvent parfois prendre le dessus sur la performance pure.
Inès gagne le concours de saut et ramène pas mal de points aux bleus. Par contre, le relais change un peu la donne par rapport à la semaine dernière. Les rouges qui avaient un peu tout écrasé ne finissent que deuxièmes et courent toute la course après les verts. Mais il faut parler un peu des bleus ! Ils sautent correctement, mais le relais est catastrophique ! Ils échappent le témoin par 3 fois ! Pire, Nathan marche pendant ses relais en expliquant à qui veut l’entendre que ses coéquipiers sont des nuls ! Que faire ? Je l’arrête en laissant son équipe assurer des relais plus longs, ou le laisser déblatérer sur ses camarades, alors que certains se défoncent pour limiter les dégâts ? Finalement, je laisse le relais aller jusqu’au bout du temps prévu. Du coup, les bleus se retrouvent avant-derniers au classement, avec, en prime, une bonne remontée de bretelles pour Nathan à l’arrivée. Les oranges, en difficulté la semaine dernière, sautent de manière homogène et ils font ensuite un relais prometteur. Ils sont 3èmes à la lutte avec les rouges quand Zaccharie s’emplafonne le même Nathan lors d’un passage de relais. Celui-ci était resté au milieu de la piste sans s’inquiéter le moins du monde que d’autres allaient partir à fond avant lui pour leur quart de piste ! Bref, le temps que Zaccharie reparte, les rouges sont loin et les jaunes sont passés devant. Ceci étant, au classement général, et même s’ils restent derniers, ils se rapprochent légèrement des autres équipes, ce qui leur redonne un peu de moral !
Les plans de travail CPR
Revenus dans la classe, on reprend ses esprits et on se lance dans le plan de français (pour la fin de matinée), puis le plan de maths (en fin d’après-midi). Globalement, les élèves ont pris le pli. Les venues au bureau sont régulières et les exercices commencent à se corriger de manière efficiente. Bref, le travail avance ! Le profil de la classe se confirme : pas de grosse difficulté, mais pas de gros potentiel qui émerge non plus. Cela n’empêche pas certains élèves de ne pas faire grand-chose (Ilona n’a fait que 4 exercices en mathématiques depuis le début et un seul est validé par un point bleu).
Il va falloir un étayage sérieux pour un quart au moins de la classe. De l’autre côté, un petit quart avance bien et devrait valider le premier plan de maths sans difficulté. On est toutefois loin de certaines années où, dès le premier plan, certains atteignent le palier Xp (plan intégralement achevé) quelques jours avant la fin. Cette année, je ne pense pas que cela va arriver avant quelques plans, si cela arrive. Ceci étant, je ne peux pas le reprocher à mes meilleurs élèves de cette année, ils n’y sont pour rien si leurs copains ne sont pas plus hauts potentiels qu’eux-mêmes !
C’est tellement courant de se voir reprocher les résultats des autres ! Un élève de cette classe n’est pas responsable de la moyenne de classe à plus de 1/26ème . Finalement, ce qui importe, c’est de savoir si cet élève valide ses plans. Le reste n’est qu’un emballage peu significatif pour l’avenir des élèves pris dans leur singularité.
Jeudi, j’ouvre la dernière compétence du plan M1 de maths et je constate quand même un peu les dégâts… Combien vont valider ce premier plan ? Il ne reste que 5 séances avant la fin et aucun élève n’a validé les 5 premières compétences. Pire, seules Ines et Ulyana ont au moins un point bleu dans chacune. Alors la tentation est grande de se dire : « et si je rajoutais quelques jours au plan ? C’est quand même la première fois qu’ils travaillent par plan… Il leur faut un peu de temps pour être efficients… » Non, parce que là, j’ai l’impression que l’on va juste valider 3 ou 4 plans sur toute la classe !
Mais en fait, presque chaque année je me pose cette question. Et une ou deux fois, j’ai essayé de prolonger les premiers plans ! Bon certainement que cela a permis d’en valider un ou deux de plus, mais ce temps perdu l’est définitivement car il sous-entend de raccourcir un autre plan dans l’année où l’on risque de perdre quelques plans validés et parfois plus que ceux que l’on a gagnés au départ. Et puis, nos élèves sont comme nous, si on repousse la ligne d’arrivée, ils ne vont pas lancer leur sprint tout de suite ! Du coup, le temps investi n’amènera que peu de réussites supplémentaires car la grande majorité n’emploiera pas ce temps accordé pour allonger son sprint, mais ne fera que différer le moment de l’accélération.
Il est intéressant à ce moment de la réflexion de se souvenir des principes fondamentaux de la Pédagogie CPR. Il s’agit là d’un choix que l’on doit faire grâce au concept du rapport TPA. Si l’on en reste à des réflexes traditionnels, on se dit que toute acquisition est bonne à prendre. Si l’on adopte le rapport TPA comme critère de choix, on ne rallonge pas le premier plan de l’année, car cela ne fait qu’augmenter le TPA !
Alors au contraire, je mets la pression ! « Il ne vous reste que 5 séances ! ». « Si vous n’avez pas demain au moins un point jaune dans chaque compétence, la semaine prochaine, vous ne serez plus prioritaire pour venir au bureau !» « Il est temps de s’y mettre ! ». Et jeudi midi, alors que les 6 compétences du plan sont ouvertes, je fais le point sur les cahiers.
L’Aide Personnalisée Complémentaire
Pour ne pas rallonger ce premier plan mais aider un maximum d’élèves à basculer vers un palier que l’on pourra considérer comme un bon début, je propose à une petite moitié de la classe de venir en APC lundi pour une séance de plan complémentaire, en petit groupe. Ces élèves ne sont pas choisis au hasard, ce sont qui sont le moins avancés en termes de points bleus obtenus. Quelques-uns de ces élèves disent non, la plupart sont volontaires et certains plutôt deux fois qu’une ! Quelques autres auraient bien aimé pouvoir être volontaires, mais ce sont ceux qui devraient valider le plan sans cela. Il y aura une dizaine d’élèves en APC. Ces élèves seront motivés, ils vont pouvoir passer au bureau plusieurs fois pendant la séance et en général, quand je mets en place ce dispositif (normalement un peu plus tard dans l’année), il est plébiscité par les élèves. D’un côté, ils sont volontaires, de l’autre, ils savent que cela leur donne un avantage sur ceux qui n’y sont pas. Le pire, c’est que certains élèves en réussite sont jaloux ! Le monde à l’envers, on se battrait presque pour venir en APC ! Cela produit aussi un boost pour le moral des élèves et peut casser un peu la spirale qui les amène à se dire déjà qu’ils n’y arriveront pas.
Voilà, en Pédagogie CPR, on ne différencie pas, on ne vient pas en APC parce que l’on a raté son évaluation, on vient par choix et les bons élèves, parfois, vous envie !
En attendant cette séance de renforcement du plan M1, cette semaine, l’APC est consacré, comme la semaine passée, à une évaluation plus traditionnelle : la fluence de lecture des élèves. Cette année dénote un peu avec pas moins de 5 élèves qui dépassent les 200 mots à la minute. C’est un très bon résultat, largement au-dessus des années précédentes. Par contre, il y en a autant qui ne dépassent pas les 120 mots que je juge nécessaires pour ne pas être en difficulté de lecture à haute voix. L’annonce du Ministre concernant cette barrière des 120 mots est par ailleurs conforme à ce qui est préconisé par les développeurs de la méthode de fluence que j’utilise (avec le texte très courant « M. Petit »). Il n’est donc pas, cette fois, très difficile de suivre les injonctions hiérarchiques.
Ceci étant, il faut arrêter de penser que ce genre de test contrôle la capacité de lecture d’un élève. Il teste essentiellement l’oralisation du texte. Mes parcours de type rallye littéraire et lecture silencieuse à partir du vieux système Sedi-data ou Lexi-data m’apportent bien des données complémentaires.
La réunion de rentrée
L’APC achevé, j’ai donc 45 minutes pour me poser et prendre un petit goûter avant de replonger dans l’arène avec cette fois, les parents assis dans la classe à la place des élèves !
17h15, les premiers parents arrivent. Je ne suis pas toujours physionomiste et il y a certains parents à qui il me faut demander : « et vous êtes la maman de… ». Le pire c’est que parfois j’ai eu une grande sœur ou un grand frère… Pourtant mon souvenir des élèves est prégnant et presque toujours positif car j’ai du mal à considérer qu’un élève particulier ait pu me laisser un mauvais souvenir. Même les plus pénibles, ceux qui ont pu me pourrir parfois l’ambiance de la classe, j’ai plaisir à les revoir quand je les croise, soit dans les rues d’Issiéla ou au collège lors de mes visites là-bas. Bon, soyons honnête, il y en a bien un ou deux dont le souvenir est moins plaisant quand même, mais ce ne sont pas eux qui me reviennent en mémoire les premiers !
Pour les parents, c’est autre chose… Autant j’ai toujours une bienveillance sans limite pour les élèves, autant pour certains parents, c’est un peu moins facile… Mon métier, celui qui me passionne, celui pour lequel je suis payé, c’est quand même de gérer une classe d’élèves pour que chacun puisse avoir accès à l’égalité des chances de réussir son passage vers le monde adulte. En ce sens, chaque élève a encore beaucoup à apprendre, et je lui dois mon soutien et mon accompagnement inconditionnels pour atteindre cet objectif. Je ne lui en veux pas de ne pas être encore ce qu’il doit venir. D’ailleurs, sinon, à quoi serviraient les enseignants ?
Par contre, je n’ai pas la même ouverture d’esprit pour leurs parents ! Eux sont censé être ce qu’ils devraient être ! Et en plus, il n’est pas de mon rôle d’influer sur ce point. Alors je respecte tout le monde et les avis de tous, mais je ne suis pas forcément d’accord, et je suis au service de la République et de ses enfants, pas de leurs parents. Et parfois, les relations peuvent être un peu tendues. Alors quand une petite sœur ou un petit frère d’une famille avec qui le passage d’un autre élément de la fratrie a généré des tensions, arrive dans ma classe, j’accueille l’élève sans arrière-pensée, mais je sais que souvent, les relations avec les parents risquent de ne pas être simples. Et parfois, cela commence dès la réunion de rentrée… « Alors Rayan, ce n'est pas Maxence, vous serez obligé de… ». Et pourtant, Maxence a fait une bonne année dans ma classe il y a quelques années ! Cette réunion n’est pas le lieu de ramener le propos au cas d’un seul élève, donc je remets la discussion au niveau global de la classe.
Pourtant, depuis quelques années, les réunions de rentrée sont un moment bien agréable, un moment de rencontre avec des parents que je dois inciter à me faire confiance. Ce n’est pas rien de demander la confiance à des parents. Parfois, dans certaines familles, l’entrée dans la Pédagogie CPR est anxiogène.
Réfléchissons un peu au message envoyé : « il faut lâcher prise… Soyez patient ! Vous ne pourrez pas faire réviser votre enfant, il devra se débrouiller seul ! » Et la liste n’est pas exhaustive, loin de là. Alors au fil des années, le discours s’est rodé, les réponses se sont affinées et surtout, la confiance s’est installée. Ma réputation me précède un peu et radio parking est plutôt engagée à mes côtés ! Ça aide !
Je ne peux pas m’empêcher de repenser à ma première année où les parents d’élèves sont venus me voir en fin d’année pour me dire qu’après la réunion de rentrée, ils s’étaient réunis sur le parking… « Ce que vous proposiez avait l’air si différent, on a parlé et on a décidé de vous faire confiance… On n’a pas regretté ! »
Alors cette année, devant cette classe à moitié remplie de parents positifs et faciles à convaincre (quand ils ne le sont pas déjà !), pendant que je déroule ma présentation, quelques pensées me traversent l’esprit.
Qu’elles sont loin les premières années de Cm2 avec cette question qui revenait à chaque fois : « et comment feront-ils au collège si vous ne leur donnez pas de devoirs à la maison en Cm2 ? » et moi qui répondait : « On ne prépare pas un marathon en faisant des marathons ! » Et quand ça insistait, j’avais la phrase qui fermait le débat et laissait les parents en pleine réflexion : « Pourquoi juger un professeur au travail qu’il ne fait pas, vu qu’il vous le rétrocède à la maison ? »
Maintenant, il arrive encore d’avoir la question, mais il y a toujours un parent présent qui a eu un autre enfant passé par ma classe et qui témoigne volontiers que l’adaptation au collège a été parfaite ! Et hop, plus les années passent et plus ce sont les parents qui me donnent les arguments dont j’ai besoin ! C’est aussi pourquoi cette réunion est un plaisir annuellement renouvelé.
J’ai plaisir à rencontrer les parents. Je partage une année (ou parfois deux) de la vie de leur enfant. Ma position de professeur me fait aussi traverser très provisoirement et virtuellement la vie de leur famille. Je le redis, ce n’est pas rien et cela m’oblige. Cette responsabilité, je la ressens, je la respecte, et c’est un moteur. Je sais ainsi pourquoi je me lève le matin et pourquoi je suis fatigué le soir en rentrant. J’aime cette responsabilité et j’aime quand les parents déclarent que leur enfant n’avait qu’une hâte, être dans ma classe et quand plus tard, les parents viennent me dire que leur enfant a adoré son année avec moi, c’est quand même plaisant !
Cette réunion de rentrée, c’est cela pour moi. Je ne me sens pas en danger, je ne me mets pas sur la défensive, je sais ce que je fais dans la classe et je sais pourquoi je le fais. Bon, c’est facile après avoir écrit deux livres sur le sujet, je me sens bien dans l’exposition de mes idées pédagogiques ! J’en suis même à me dire en pleine réunion que je me sentirais maintenant prêt à faire des conférences pour présenter la Pédagogie CPR à d’autres enseignants, qu’ils soient en place ou en formation… Mais ça, ce n’est pas encore d’actualité…
A 19h30, la classe est vide, les questions sont finies, les parents sont repartis. Je suis seul dans l’école, je ferme derrière moi, je démarre la voiture et entame le trajet du retour. Sacrée journée !
Note de l'auteur : le roman de l'année est un roman ! Il s'agit d'une fiction, même s'il s'appuie sur ma réalité de professeur des écoles.
Objectif premier du roman de l'année : Accompagner les nouveaux professeurs en Pédagogie CPR
Ce qui est réel :
- Temporalité et paramètres de la classe
- Les anecdotes sont réelles, mais pas de l'année en cours.
Ce qui est fictif :
- les élèves et leurs résultats, les personnages secondaires.
(Ils n'ont pas de lien avec qui que ce soit)
- L'école et son environnement. Issiella n'existe pas !
Crédit photos : beanico-photo (www.beanico-photo.fr)
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